ARCHIVE (2017, l’an 5 avant chatGPT) : Remplacer les formateurs par des robots permettra-t-il de garantir la qualité des enseignements ?

Stephane Leforestier
18 mars 2024

J’avais écrit cet article fin 2017, je vous le partage ici, tel quel, pour que nous mesurions tous les qualités et les erreurs de nos prédictions passées.

publié sur Linkedin, septembre 2017

Bonjour à tous, alors oui d’accord le titre est peut être un peu racoleur et dramatique mais je suis persuadé que nous devons nous poser cette question dès maintenant. Pourquoi ? Je vois plusieurs raisons à cela :

Déjà c’est dans l’air du temps, à force d’entendre parler de pans entiers de l’économie qui vont se robotiser dans les années à venir (d’ailleurs vous noterez que les échéances annoncées sont souvent celles qui arrangent les annonceurs), de millions d’emplois qui vont changer de modalité d’exécution, j’estime qu’il n’est pas délirant de se poser la question.

Ensuite parce que cela existe déjà. Je ne parle pas de robots humanoïdes bien sûr mais des plates formes de formation automatisées qui, fortes de leurs redoutables algorithmes (et bientôt de non moins redoutables IA), peuvent proposer des parcours à des milliers de personnes sans avoir à multiplier les formateurs. L’efficacité est là ! Et pour beaucoup cela est un progrès, difficile de les contredire quand ces robots offrent un enseignement jusqu’ici inimaginable à des populations qui étaient exclues du savoirs pour plein de raisons (la première étant leur manque de moyens financiers), et de plus en plus de savoirs nous sont accessibles. Il y a quelques années, Elon Musk (et oui, difficile de parler de progrès sans citer au moins l’un de ses gourous) nous offrait une analyse saisissante de l’éducation, en comparant la salle de classe « à l’ancienne » (d’aujourd’hui donc) à un théâtre amateur et la plate-forme de contenu à un blockbuster hollywoodien (l’exemple portait sur Batman) : Et sur ce point il avait raison, comment pourrions nous refuser cette débauche de moyens, d’experts, de contenus et « d’expériences pédagogiques » pour nous limiter à ce que peut nous apprendre une seule personne ? Il faut bien l’avouer, un robot va être capable de fournir la même prestation dans toutes les situations. La vrai question de la qualité de l’enseignement, pour moi n’est pas comment mais pourquoi.

La qualité de la formation, de quoi s’agit-il ? Attention au double sens. Pour un formateur, un stagiaire ou une entreprise, la qualité est avant tout opérationnelle, la personne formée « devient capable de… ». Dans une logique industrielle, la qualité c’est autre chose, la capacité à offrir un produit standardisé, dont les mesures entreront dans un étalonnage acceptable. Si d’un côté on mesure le produit, de l’autre on évalue le résultat. Si le robot veut garantir une qualité au même titre qu’un formateur humain, il devra garantir un process qui prend en compte le stagiaire de l’avant à l’après formation, et donc à la fois le contexte externe et interne de chaque individu. Cela n’est pas techniquement impossible, mais (pour le moment et quelques temps encore) trop complexe et donc trop long et pas assez rentable.

La force du formateur humain n’est pas de faire mieux que le robot, mais de faire différemment pour chacun de ses stagiaires, de sortir des clous quand il le faut pour aller à la rencontre de l’autre, bref de ne pas offrir une prestation prévisible. Le formateur n’est pas un industriel, mais un artisan.

La force du formateur est pour moi son indépendance. Si votre métier de formateur consiste à suivre à la lettre un programme (écrit par d’autre, pour un public cible « moyen ») alors vous transmettez des connaissances mais rien d’autres (vous échouez en réussissant). Si vous allez au delà, si vous écoutez, comprenez, accompagnez vos stagiaires pour répondre à un besoin que vous aurez identifiez ensembles, alors vous provoquez le changement. Pensez vous qu’un robot pourra faire cela ? Un logiciel prendra-t-il du plaisir à voir ses stagiaires réussir ?

Alors, il faut brûler les robots ? Pas si sûr, ils pourrait bien nous être utiles si nous les prenons pour ce qu’ils sont… L’automatisation des tâches administratives par exemple peut être un vrai gain en productivité, car il faut bien reconnaitre qu’un ordinateur sera plus rapide pour remplir des documents, créer des dossiers ou ranger des éléments de preuves, le taux d’erreur est ridiculement faible pour ceux qui utilisent un ERP. Plus besoin d’envoyer soi-même les emails, de compter les réponses, d’écrire les listes d’émargement, de calculer les itinéraires… Je ne sais pas pour vous mais pour moi, la partie administrative des formations m’ennuie profondément et je n’ai pas de travail pour un(e) secrétaire à temps plein. En confiant à un robot toutes ces petites tâches sans valeur, mais néanmoins obligatoires, je me libère du temps pour ce qui compte vraiment.

Concentrons nous sur l’essentiel et laissons le reste aux robots, qu’en pensez vous ?